Bernardí Roig

“Bernardí Roig. Light never lies” rassemble 8 installations réalisées entre 2001 et 2005 et adaptées pour l’occasion aux espaces du Museo Carlo Bigotti. Outre les figures grandeur nature en résine de polyester, l’exposition montre un certain nombre de dessins au crayon, charbon et cendres sur papier et trois vidéos qui “dialoguent” avec les installations. Des lumières fluorescentes et des inscriptions complètent certaines œuvres.
Les hommes de Roig, réalisés au moyen de moulages à partir du vrai, sont exposés à l’action urticante de faisceaux de lumière blanche qui fendent l’ombre pour les frapper au visage jusqu’à l’aveuglement.
Comme de nombreux artistes de sa génération, Roig réfléchit sur la nature des perceptions collectives sous la poussée propulsive des médias, de la révolution télématique et des inévitables effets de la mondialisation. La surabondance d’images qui caractérise le présent a produit quelque chose de plus qu’une dépotentiation du regard, elle a, par un excès de lumière, érodé toute certitude.
Dans les oeuvres – exposées pour la première fois au Museo Carlo Bilotti et dans la ville de Rome, Bernardí Roig explore la possibilité de devenir spectateurs de sa propre intériorité.
Strauch (2004, figure en résine de polyester grandeur nature, lettres lumineuses en aluminium) est l’œuvre clé de l’exposition, réalisée d’après un moulage du père de l’artiste, où toute la narration est imprégnée de la présence de la solitude et de la perte des sensations. Strauch est le personnage principal de “Frost” (Hollande, 1964), le chef-d’œuvre de Thomas Bernhard qui narre l’affrontement mental d’un peinture avec le monde. Strauch, un peintre qui a la tête soudée au corps, nous conduit dans l’obscurité à travers un monologue intérieur qui passe par le sentier de l’horreur, de l’asphyxie et de l’anéantissement.
En revanche, Repulsion exercises (2005) se compose d’une figure en résine de polyester de taille humaine montée sur des échasses et d’une vidéo. Haute et inaccessible, c’est une œuvre « absente » qui ne veut regarder ni le public, ni les images qui défilent sur le moniteur placé à la hauteur de ses yeux. La vidéo raconte l’histoire de sa tête décapitée par une Salomé moderne, bourgeoise et brimée, à laquelle il ne reste, comme consolation pour tous ses désirs frustrés, que l’exercice de la «pluie dorée» sur cette même tête.
Acteón (2005, figure en résine de polyester grandeur nature, lumière fluorescente) se réfère au mythe de Diane raconté dans les Métamorphoses d’Ovide. La lumière fluorescente, brutalement mise presque en contact avec les yeux de la statue, l’empêche totalement de voir. Acteón a vu ce qu’il ne pourra jamais raconter, c’est la raison pour laquelle il reste enfermé dans un mutisme total. Il paie ainsi le prix de l’acte héroïque de voir.
Sound Exercises (2004, figure en résine de polyester grandeur nature, lumière fluorescente) est la figure du narrateur épuisé qui, dos au public et appuyé contre un mur de lumière, n’a plus la force d’émettre aucun son. L’oeuvre devient ainsi la représentation symbolique de la fin du récit et de la parole. Les phrases et les mots s’accumulent cependant à l’intérieur de lui et le gonflent.
Ejercicios de parecido (2005, dessin au crayon, charbon et cendre sur papier, lumière fluorescente) est un triptyque qui représente à travers le dessin une idée de visage considérée de trois points de vue différents. Dans les dialogues « Binissalem », Roig prononce une théorie séduisante selon laquelle les figures existent dans le charbon du crayon et l’artiste n’est autre que le démiurge qui les extrait par sa pensée. La lumière n’est pas dans l’image, mais elle reste emprisonnée entre le tableau et le mur, n’émettant que des signaux latéraux et indirects. Elle oblige à une vision latérale, détournant le spectateur du centre à la périphérie de l’expérience.
Des figures masculines corpulentes, lestées ou écrasées contre les murs, affaissées par de fulgurantes projections lumineuses, suspendues ou le dos tourné au spectateur. Ce sont des individus qui entretiennent une relation énigmatique avec l’objet que l’artiste a préparé afin de générer en eux une condition de malaise à la limite de la tolérabilité.
Tout cela confère aux installations une dimension fortement scénographique. Dans le milieu où le travail prend forme, il s’établit une zone dans laquelle le noir cède la place au blanc des corps inondés de lumière et toujours par référence à un mur, rigoureusement blanc lui aussi.
Dans son travail, Bernardì Roig cligne l’œil au filon issu du XXème siècle qui, du point de vue visuel, met le thème du corps comme élément central de la recherche artistique. La co-présence de figuration (le corps), minimalisme (la lumière) et conceptualisme (les références à des disciplines telles que le théâtre, le cinéma et la littérature) assure à son œuvre une place particulière dans le panorama contemporain.
Inspirée des mythes classiques, de la philosophie postmoderne, de la prose de Thomas Bernhard et de l’art de Pierre Klossowski, l’œuvre de Bernardí Roig explore la frontière qui sépare et relie les deux paramètres essentiels de la pensée, le pré-moderne, fondé sur l’intégrité de l’esprit, et le post-moderne qui tourne autour de la fonction du simulacre et de la prolifération des apparences.
Si la vie est un mensonge qui ne nous apparaît cependant comme tel qu’au moment de la mort - comme l’écrit Bernardì Roig dans un des dialogues/monologues recueillis dans «Binissalem» - la lumière ne ment jamais, «Light never lies».